Ger ZIJLSTRA
L’oeuvre ouverte
06.04>05.05.2013

De grands tableaux brûlant d’une énergie contenue, des sculptures biomorphes qui s’avancent dans l’espace pour nous interpeller, des assemblages où l’on perçoit, tout à la fois, la précision du geste et la grande énigme de la construction : tout le travail de Ger Zijlstra s’apparente à des dispositifs en action. Des forces sont à l’œuvre dans l’épaisseur des matières et un arc électrique semble se diffuser de proche en proche entre les peintures et les objets, les matériaux et les assemblages. C’est sans doute ce qui frappe le visiteur : tout ce qu’il regarde communique, à l’évidence. De sorte qu’un seul grand assemblage est là, sous nos yeux, comme un  corps qu’il s’agirait de réassembler ou de ressusciter.

Dans un texte demeuré célèbre, Umberto Eco célébrait autrefois ce qu’il appelait « l’œuvre ouverte » : l’œuvre d’art moderne, polyphonique, en tissage permanent, récusant la clôture pour offrir une création en mouvement, ouverte dans sa forme et dans ses interprétations. L’œuvre de Ger Zijlstra est une œuvre de cette nature, mais son ouverture loin d’être un jeu formel s’apparente plutôt à une entreprise de réconciliation. l’artiste cherche à rassembler le dispersé et à ramener à la vie les âmes errantes de nos vies. Il veut bien  alors absorber pour nous toutes les douleurs interminables, et ses yeux, droits dans les nôtres, ne cillent pas.

Notre ami Ger Zijlstra est décédé le 7 juin 2020 à Epineuil-le-Fleuriel (Cher). Il était né le 25 juin 1943 à Utrech, aux Pays-Bas. Il appartenait à cette génération d’artistes parvenus à maturité alors que l’art moderne achevait son irrésistible ascension engagée un siècle plus tôt. Sculpteur, peintre, formé à la Royal Academy of Visual Arts de La Haye et à la Rijksakademie van Arts Visuels d’Amsterdam (où étaient passés, comme élèves, Piet Mondrian, Jan Toorop, Karel Appel et d’autres figures importantes de la modernité), il a enseigné de 1973 à 1996 à l’Académie Gerrit Ritveld, à Amsterdam. La sculpture, pour laquelle il ne cessa d’oeuvrer, a donné lieu, notamment, à un grand nombre de pièces exposées dans l’espace public aux Pays-Bas (places, parcs, institutions), conformément au grand souci qu’avait Ger Zijlstra d’intervenir « au milieu du monde commun » pour « prendre la parole » et chanter « la belle chanson de l’art ». Charismatique et humble, amateur et collectionneur d’artefacts préhistoriques, il accordait un rôle essentiel à la vie spirituelle de chacun, estimant que notre humanité pouvait se rassembler dans ces contrées retirées et que l’art n’était qu’un seuil. L’exposition au DomaineM, en 2013 (dont nous ne montrons aucune image) témoignait de la grande force des dernières créations de l’artiste. Célébrant « la pensée des vases canopes » et la nécessité de « vivre avec la mort », Ger Zijlstra soulignait l’étonnement qui continuait à l’habiter du fait qu’il était simplement vivant. C’était vraiment un grand artiste de l’art-pour-la-vie.

« La vie est la chose la plus intéressante pour les humains. Mais parler de la vie est très restrictif. Le langage commun ou scientifique n’est rien de plus que des indices. Les artistes ont la possibilité d’atteindre un niveau de compréhension différent, avec des aspects tangibles et visuels. A partir de ce niveau, une ouverture à un processus spirituel est possible. Je suis intéressé par la découverte de moi-même, afin de savoir ‘qui je suis’, et j’aimerais trouver ces explications qui résultent de l’ histoire d’une vie incroyablement longue. Il est très important pour moi de montrer ces aspects dans mon travail. Je veux pouvoir les rendre tangibles et visibles. L’ingrédient le plus important de notre univers est la conscience qui perçoit la pensée ».
Ger Zijlstra