Gabriel FOUSSARD
Le radeau de la Méduse
automne 2023

Que peut l’artiste en des temps de discorde et de cité divisée ? Comment garder l’esprit clair et produire des actions plastiques à même de circonscrire « la stasis, cette division devenue déchirure, qui met à mal les modèles et leurs certitudes rassurantes »* ? Depuis déjà quelques années, Gabriel Foussard fabrique des objets et des dispositifs où peinture et matériaux semblent revenir vers nous ainsi que des formes perdues qui auraient trouvé un passage. Aussi la « faille » souvent évoquée par l’artiste n’est-elle pas un artifice de langage ou un signe anodin. Elle renvoie à la recherche de cette ouverture qui s’impose à présent dans la lutte pour la respiration collective. Les élégies matérielles de Gabriel Foussard en témoignent.
[* Nicole Loraux, La cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, 1997].

Gabriel Foussard avait déjà été invité au DomaineM, pour une exposition personnelle, en novembre-décembre 2016, il y a donc sept ans. Les visiteurs ayant eu la chance de voir cette exposition, alors intitulée « l’origine du monde », pourront mesurer le passage du temps et, à l’évidence, les inflexions douloureuses de notre époque. Alors qu’il voulait marcher sous les nuages, fouler l’herbe, suivre le sentier à l’aide d’un bâton et d’une boussole*, l’artiste, avec une acuité et une exigence rares, élimite à présent la parcelle de liberté que lui concède encore son art à la manière d’un paysage à défendre. Un territoire incertain, exposant ses concrétions matérielles comme autant de dépôts-témoins, juxtaposant l’éclat précieux de formes noires et la restitution brute du matériau.

L’exposition « Le radeau de la Méduse » présente une situation où les processus de la vie sont entravés et où le monde se manifeste dans une pénombre persistante. La consience est contrainte au repli protecteur et sa capacité à saisir les choses s’en trouve amoindrie. Fidèle à un art veillant à mêler dispositifs de pensée et mouvements d’affects, Gabriel Foussard parvient, sur la crête, à hisser ses travaux ainsi que des élégies matérielles susceptibles de répondre à l’adversité d’aujourd’hui en maintenant le filet de voix de l’art.

On gardera présent à l’esprit la force du titre choisi par l’artiste pour son exposition de sortie de résidence, référence à ce qui fut, tout à la fois, la dérive meurtrière d’un radeau suite au nauvrage de la frégate française « La Méduse » au large du Sénégal (1816), et le tableau terrifiant qu’en fit en 1819 le jeune pentre romantique Théodore Géricault, alors âgé de 28 ans. Image de ce nous appellerions aujourd’hui, maladroitement, une « catastrophe humanitaire », le tableau désigne surtout un monde en faillite où l’espérance vacille. Largement bitumé (en raison de l’usage pigmentaire intempestif du bitume de Judée, un dérivé du pétrole), le tableau de Géricault conservé au Louvre, se détruit inexorablement, d’anée en année, et semble condamné à devenir un amas de matières noires, coagulées. La gamme des noirs explorée par Gabriel Foussard, ainsi que la véhémence matérialiste des pièces en volume font signe en direction de l’oeuvre de Géricault dont le destin semble aujourd’hui lié à celui de notre société extractiviste.

EDITION : Les cahiers / n°27 Gabriel Foussard – Sommaire : Michel Cegarra, « Chroniques du dépassement. Les élégies matérielles de Gabriel Foussard -1. Nuages. La trame et le programme – 2. Faille. Exposer l’exposition », suivi de : « Obscurités. Les corps et les choses » – Gabriel Foussard – Les images – Format A5, dos carré, 68 pages, 16 illustrations couleurs, édition DomaineM, octobre 2023 – 10€. Disponible.

Dans les bras de Saskia (détail), 2022, peinture à l’huile, tissu, cadre ancien

EDITION : Les cahiers / n°27 Gabriel Foussard – Sommaire : Michel Cegarra, « Chroniques du dépassement. Les élégies matérielles de Gabriel Foussard – 1. Nuages. La trame et le programme – 2. Faille. Exposer l’exposition », suivi de : « Obscurités. Les corps et les choses » – Gabriel Foussard – Les images – Format A5, dos carré, 68 pages, 16 illustrations couleurs, édition DomaineM, octobre 2023 – 10€. Disponible.