Un nouveau programme, en quatre séances, intitulé « Chefs-d’oeuvre de l’art européen (XIVe-XVIIIe siècles). Expériences, espaces, figurations » est présenté durant l’année 2024 |voir l’Agenda]. Première conférence le dimanche 10 mars 2024 : « Chefs-d’oeuvre de l’art siennois et florentins (XIVe-XVe siècles). Duccio, Giotto, Filippo Lippi, Piero della Francesca, Benozzo Gozzoli, Sandro Botticelli ». Deuxième conférence le dimanche 28 avril 2024 : « Chefs-d’oeuvre de l’art des ‘primitifs’ flamands (XVe siècle). Robert Campin, Jan van Eyck, Rogier van der Weyden, Dieric Bouts, Petrus Christus, Hans Memling ».
Argument : Nous reprenons à dessein, bien qu’elle soit controversée sinon jugée obsolète, l’expression de « chefs-d’oeuvre » pour présenter des créations qui sont autant de dispositifs plastiques que d’agencements de pensée, élaborés sur cinq siècles, de la sortie du monde médiéval à l’entrée dans l’espace des Lumières. Inscrits dans des contextes historiques déterminés, les artistes étudiés – six par séance – travaillaient selon les attentes de leur époque, en prenant en compte les créations de leurs contemporains. Jeux d’influence, rivalités, conflits esthétiques, mais aussi transferts des savoirs : leurs oeuvres témoignent encore aujourd’hui de l’imbrication des contraintes et des inventions. On pourra alors vérifier le rôle central de l’art et de ses images dans les mutations historiques de l’Europe. Ainsi que l’affirmait l’historien d’art Carl Einstein : « L’histoire de l’art est la lutte de toutes les expériences optiques, des espaces inventés et des figurations »(« Aphorisme méthodiques », 1929, revue Documents n°1).
L’Hommage d’un simple de Giotto – fresque ultime du cycle de la basilique supérieure San Francesco, à Assise – est une peinture pensée et organisée au trébuchet. On y découvre six personnages « en quête d’auteur », sollicitant la lecture ou la méditation du regardeur. : au premier plan, saint François d’Assise, à gauche et, à droite, le « simple » (c’est à dire l’idiota, l’illettré, dont Nicolas de Cues, un siècle et demi plus tard, saluera la sapienza, la sagesse), jetant son pauvre manteau sur une flaque de boue pour éviter au saint d’être souillé. Au second plan, voici quatre personnages : répartis symétriquement, à gauche et à droite. Vêtus comme des notables, ils observent la scène et la commentent avec force gestes. On pourrait entendre les questions qu’ils se posent : « convient-il d’accueillir ainsi saint François ? Le geste de dévotion était-il nécessaire ? Relève-t-il d’une conscience fraternelle ou d’une croyance naïve érigeant le saint homme en un « grand homme » ? S’agit-il d’un acte simple de bonté ou d’un témoignage inutile d’asservissement ? Ne pouvait-on alerter François d’un cri ou d’une parole ? Le pauvre vêtement sera-t-il perdu ? Etait-il besoin de se jeter ainsi à plat ventre dans la boue ? François mérite-t-il cette faveur et le Simple cette soumission ? Dans la cité, la religion ne doit-elle pas observer des marques simples, non ostentatoires, adaptées à la réserve à observer dans le cadre des libertés communales ? »
Patrick Boucheron le rappelait dans sa « Leçon inaugurale prononcée le 17 décembre 2015 au Collège de France » (Ce que peut l’histoire, éditions du Seuil, 2020) : « …les sociétés européennes se caractérisent, dès le XIIIe siècle par une opposition opiniâtre et multiforme à la domination de l’ecclesia » , car les grandes révolutions communales italiennes des XIIIe et XIVe siècles constituent, d’un bloc, ce « temps de la croissance urbaine, de l’expérience communale et du défi laïc ». Selon notre interprétation nous sommes ici au coeur de l’acte d’image de Giotto. La délibération silencieuse et gestuelle des quatre « bonhommes » (buonuomi) du conseil communal se déroule sur la piazzetta, où l’on retrouve, à gauche le palazzo publico et, au centre, le vieux temple romain de Minerve que Giotto ouvre comme un espace vide et présente comme le petit édicule en perspective qu’il utilise pour figurer un espace terrestre, habitable par l’homme hors de toute séquestration sacrée. Outre la profondeur mystique, immatérielle, du fond d’or byzantin, remplacée à présent par la profondeur d’un monde désormais adapté à l’homme, Giotto expose ce qu’il en est désormais des droits et libertés -instaurés par le mouvement communal- contre les empiètements de l’église, et ses confiscations du symbolique. L’art, la peinture de Giotto, opèrent donc la double fabrique d’un lieu pour l’homme et d’une cité où le bon gouvernement en règle les usages.
Prochaine conférence le dimanche 13 octobre 2024 : « Chefs-d’oeuvre de l’art vénitien (XVIe siècle) : Giovanni Bellini, Vittore Carpaccio, Giorgione, Titien, Tintoret, Véronèse ».
Vu l’affluence il est prudent de réserver : ledomainem@gmail.com