Conférences hors les murs
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A La Fabrique Poïein
septembre 2014 > novembre 2022

La Fabrique [poïein], 2 chemin des Trois sabots, 03360 L’Etelon (Allier)

La Fabrique [poïein], fondée et animée par Gérald Castéras dans le village de L’Etelon, à la limite de l’Allier et du Cher, est un lieu dédié à la culture : à la fois maison d’édition d’OLNI (objets livresques non identifiés) et espace de rencontres, de lectures, d’écriture, de représentations théâtrales et de conférences. Le DomaineM y propose des conférences, par programmes, depuis septembre 2014.
www.poiein.eu

PROGRAMME automne 2022 : Les ‘temps modernes’ à travers l’image, Un programme en deux conférences, en octobre et novembre 2022. Conférences d’une durée d’1h30, suivies d’un débat et d’un partage de paniers.

I / 20 octobre 2022 : « L’image des révolutions industrielles dans les arts visuels et la société (1769-1914) ».


Adolph Menzel (1815-1905), La Forge (Les Cyclopes modernes), 1872-1875, huile sur toile, 158 x 254 cm, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie

Machines à vapeur, puits de mine, forges, fonderies, laminoirs, grandes usines : dès le tout début du XIXe siècle, il est évident qu’un grand bouleversement est en cours dont on mesure encore mal la portée. Lorsque le peintre Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1810) s’installe en Angleterre, il réalise une série de peintures de ces nouveaux lieux boursouflés, inquiétants, qui surgissent en pleine campagne, mais ceux-ci sont présentés comme des « Scènes pittoresques ». Et lorsque soixante-dix ans plus tard, l’Allemand Adolph Menzel peint l’intérieur d’une forge industrielle de la Rhur, on prétendra n’y voir que des « Cyclopes modernes »… De fait, en dépit de sa violence technique, sociale et environnementale, la révolution industrielle aura longtemps suscité des images lénifiantes contre lesquelles devaient s’insurger, non sans mal, quelques artistes européens qu’il est devenu urgent de redécouvrir.

II/ 17 novembre 2022 : « Les ‘temps modernes’ et la mutation du regard. Photographie, cinéma, art, technique et société entre 1839 et 1914 ».


Lewis W. Hine (1874-1940), Les Breaker-Boys (Les garçons casseurs de charbon), enfants-ouvriers de la Compagnie du Charbon de Pennsylvanie à South Pittston (Etats-Unis), 1911, Photographie

Pénétrer sur les chantiers, dans les usines, descendre dans les mines : la photographie -née en 1839- prit en charge ces tâches devenues urgentes et que la peinture romantique puis impressionniste avaient tenues à distance. Cependant, il faudra du temps pour que la révolution industrielle et ses saccages fassent image, l’art s’attachant longtemps à l’image surannée d’une France exclusivement paysanne et artisanale. La fin du déni est doublement liée au développement des mouvements syndicaux et au surgissement d’une école photographique soucieuse de vérité. De fait, du dernier tiers du XIXe siècle à la première guerre mondiale, en  Europe comme aux Etats-Unis, une guerre des images s’installe entre deux visions opposées des bouleversements techniques, sociaux et environnementaux induits par les révolutions industrielles.

PROGRAMME 2021-2022 : « Apothéoses du vivant dans l’art. L’art, l’image et ‘la nature' » – un programme en quatre conférences, conçu pour La Fabrique Poïein, en septembre/octobre 2021 et janvier/février 2022. Ce programme est achevé. Prochain programme : « Les ‘temps modernes’ et leur image. L’image des révolutions industrielles dans les arts visuels et la société (1769-1914) », en deux séances : le 15 septembre et le 20 octobre. Voir « Agenda ».

I / 16 septembre 2021 : L’art, l’image et la « Nature », l’interminable débat.

[A gauche: Piet Mondrian, Arbres en fleur, 1912, huile sur toile, La Haye, Gemeentemuseum – A droite : Giuseppe Penone Il poursuivra sa croissance, sauf en ce point (continuerà a crescere tranne che in quel punto), 1969-2003, arbre (Ailanthus altissima), bronze].

Grande coupure nature/culture, opérations de séparation à travers le vivant (humains/animaux, végétaux/être vivants), destruction des écosystèmes et du « monde du séjour » de l’homme : comment ces décisions anthropologiques ont-elles été présentées par l’image ? Comment ont-elles été interrogées, débattues, contredites, détournées par l’art ? Le double arraisonnement de la nature par Mondrian (selon les constructions de la raison géométrique) et par Penone (selon la poigne de fer d’une étreinte problématique) témoigne-t-il des incertitudes, des hésitations ou des apories de l’art face à « la nature » ? Les 4 séances de ce programme proposeront de suivre quelques cheminements analytiques à travers l’histoire de l’art, du Moyen Âge à nos jours.

II / 21 octobre 2021 : L’animal réinventé. L’être-animal saisi par l’art, inventaire et contradictions

Albrecht Dürer, Le Lièvre (Feldhase), 1502, gouache et aquarelle, 25,1 x 22,9 cm, Vienne, Albertina Museum

Elle est bien longue l’histoire de l’être-animal. Longue et entachée d’innombrables malversations, mais aussi traversée de rencontres, de stupeurs et de partages. Les prescriptions sociales, les rigidités anthropologiques ont bâti des récits à leur convenance, de l’asservissement des animaux à la récusation des sociétés animales, de la créature « sans âme ni conscience » à la négation de l’encombrante souveraineté sauvage des bêtes. Mais comment ces prescriptions et ces rigidités ont-elles été présentées par l’image ? Comment ont-elles été interrogées, voire débattues, contredites, détournées par l’art ? Car l’art a, patiemment, sur ses marges parfois, accompagné la reconnaissance de l’animal comme être-en-vie et être-pour-la-vie. C’est ce rappel lancinant qui est le sujet de cette conférence.

III / 13 janvier 2022 :Botaniques plastiques. Observations, classements, fictions. Images de la Nature 1.

Albrecht Dürer, Grande touffe d’herbes, 1503, aquarelle et gouache, plume, rehauts de blanc sur papier, 40,3 x 31,1 cm, Vienne Graphische Sammlung Albertina Museum

L’illustration botanique est une longue histoire de formes, d’images et de savoirs, ainsi qu’en témoignent les nombreuses éditions du Materia Medica de Dioscoride, du 1er au XVIe siècle. Si l’époque des cabinets de curiosités introduit un imaginaire où la nature fait image de son propre démembrement, elle affirme également un point de vue esthétique en guise de pensée du réel. Ainsi, la question des formes et usages de la représentation des arbres, des plantes, des fleurs, suscite un intense débat à travers le temps. La rhétorique des images est affaire de construction de points de vue et d’affirmation de savoirs : les artistes (comme les poètes et les écrivains) participent aux controverses et créent des images qui sont autant de prises de position sur le lien que l’homme se devrait d’établir dans son contrat avec la nature.

IV / 14 avril 2022 : La nature en mouvement. Métamorphoses, ruptures, discontinuités, flux. Images de la nature 2.

[A gauche : Léonard de Vinci, La Sala delle Asse (« salle des planches »), achevée en 1498, détail, fresque à 360 degrés avec 16 mûriers et entrelacs, Milan, Château des Sforza / A droite : Giuliano Orsingher, Niches écologiques (Nicchie ecologiche), 2000, vasques et cupules de tailles différentes, creusées et polies dans des pierres sur leurs emplacements naturels – Arte Sella, Borgo Val Dugana, Trentin – Haut-Adige (Italie)].

La nature n’est pas fixe et n’est pas une image. Elle bouge et se transforme continuellement, alternant des phases où ce qui naît disparaît, où « la mort est la vie et la vie est la mort » selon l’aphorisme du vieil Héraclite. L’impératif du vivant exigeant dès lors le flux des discontinuités et la reconnaissance avant la lettre des « biotopes » *. Prendre en charge les milieux vivants et leurs intéractions aura longtemps été une tâche essentielle (bien qu’inaperçue) de l’art, des initiales ornées des enluminures médiévales, aux formes biomorphes d’un Kandinsky, et des jaillissements plastiques s’accordant au rythme du monde d’un Léonard de Vinci à l’étroite unité de l’être et de la nature selon Giuseppe Penone. Questionner les oeuvres à travers le temps c’est mesurer la présence permanente des artistes du côté des forces de la vie. [*Nous devons les concepts d’ « écosystème » et de « biotope » au botaniste et chercheur britannique Arthur George Tansley (1871-1955)]

ANCIENS PROGRAMMES :

PROGRAMME « Quand l’art raconte. Du récit à l’image »
janvier 2020 – novembre 2020 / Programme conçu pour La Fabrique Poïein (L’Etelon, 03).

Alexandre à la bataille d’Issos, détail d’une mosaïque pompéienne de pavement, originaire de la Maison du Faune à Pompéi, vers 100 avant notre ère, Naples, Museo Archeologico Nazionale.
Texte : Arrien (Flavius Arrianus), Anabase d’Alexandre, IIe siècle.

Argument. Un grand nombre d’œuvres d’art sont articulées à des récits. Devenant l’auxiliaire de l’écriture, l’image raconte des scènes de l’histoire, des séquences mythologiques ou littéraires, des fables, des contes. Par un étonnant renversement sémantique, nombre de ces images semblent témoigner plus efficacement du réel que les écrits eux-mêmes, parfois oubliés. Ce régime de vérité à double injonction -caractéristique de l’histoire occidentale- témoigne de la difficile stabilisation des signes, des incertitudes de la mémoire et du regard, et sans doute du travail incessant de mise au point du réel. En sept séances, ce nouveau cycle de conférences, conçu pour La Fabrique Poïein, propose une traversée de ces questions, à travers des textes (lus) et leurs images (commentées), de l’antiquité à aujourd’hui.   Conférencier : Michel Cegarra, lectrice : Roselyne Castéras. 

6 février 2020 : Images des récits d’origine. Quand l’art raconte la naissance du monde et de l’homme.

Jérôme Bosch, La Création du monde jusqu’au troisième jour, volets fermés du Jardin des Délices, vers 1503, h/bois de chêne, 220 x 195 cm (avec cadre), Madrid, Musée du Prado

Presque toutes les civilisations ont édifié un récit de la création du monde et de l’homme, de L’Épopée de Gilgamesh en Mésopotamie, dix siècles avant notre ère, au Paradis perdu de John Milton (1667), en passant par La Genèse, la Théogonie d’Hésiode, le Timée de Platon… L’expansion et l’entrecroisement des récits et de leurs commentaires devaient durablement alimenter les pratiques artistiques en thèmes narratifs et en scénographies. De fait, l’art, la peinture, inventèrent des formes, des figures, des scènes où les récits sont parfois réinterprétés de manière étonnante, comme on le voit avec Michel Ange au plafond de la Chapelle Sixtine. La conférence s’attachera à quelques uns de ces réajustements par lesquelles l’image raconte et affirme selon sa propre langue, si convaincante.

5 mars 2020 : Des anges, des géants et des hommes. Représenter la fulgurance, imager la croyance au récit.

Frans Floris, La Chute des anges rebelles, 1554, huile sur toile, 303 x 220 cm, Anvers, Musée  Royal des Beaux-Arts

L’Ange c’est le Mal’ekh, le « Messager ». Il hante bien des récits antiques puis médiévaux et renaissants. La fulgurance de ses déplacements et de ses actions, son langage de « pure parole intérieure (locutio interior), sans signes » – selon Thomas d’Aquin – ont donné lieu à une riche iconographie imageant, interprétant et commentant les récits-sources. L’invention des « anges rebelles » et de leur chute, répliquant les récits archaïques sur la « chute des géants », inaugurant par ailleurs une temporalité irrépressible de la catastrophe. De sorte que les vieux récits et les débats théologiques d’angélologie -de saint Augustin (au Ve siècle) à Thomas d’Aquin et Bonaventure (au XIIIe siècle)- se sont en quelque sorte déplacés dans le monde de l’art et des imagiers. La conférence s’attachera à ces mouvements par lesquels les images, par leurs interventions actives, s’érigent elles-mêmes en pensée de la culture visuelle de leur temps.

17 septembre 2020 : « Fictions magiques » et « histoires volatiles ». L’Arioste et Shakespeare devant leurs commentateurs plastiques [Séance initialement prévue le 2 avril].

Eugène Delacroix, Hamlet et Horatio au cimetière, 1839, huile sur toile, 81 x 65 cm, Paris, Louvre

Il est vrai que certains textes résistent à leur illustration, en raison de leur écriture même dont la plénitude, la singularité et l’étrangeté semblent faire barrage à la mise en images. Il en est ainsi du Roland furieux (Orlando furioso) de l’Arioste écrit dans le premier tiers du XVIe siècle : une longue épopée accélérée, échevelée qui « se refuse à commencer et se refuse à finir » selon le mot d’Italo Calvino. Il en va de même des drames de Shakespeare, notamment d’Hamlet et de Macbeth, où les passages de spectres, les hallucinations, les hiatus spatiaux et temporels paraissent sinon congédier du moins complexifier tout projet de représentation. La conférence se propose d’analyser les stratégies plastiques mises en oeuvre par les artistes pour, au cours des siècles, inventer malgré tout des images de « scènes infigurables ».

8 octobre 2020 : De l’histoire et des mythes. Le dessin et la peinture au défi narratif des grands récits. [Cette séance n’a pu se tenir en raison de la situation sanitaire]

Jean-Auguste-Dominique Ingres, OEdipe explique l’énigme du Sphinx, 1808 – Salon de 1827, huile sur toile, 189 x 144 cm, Paris, Louvre

Les grands récits historiques et mythologiques n’ont-ils pas, finalement, été conçus et articulés pour être visualisés comme des enchaînements d’images et des exemples de scènes ? Imaginer que ces grands récits soient également, en creux, des collections d’images voire des « films à épisodes », ne peut que troubler notre perception et ériger l’imaginaire en un puissant et inquiétant vecteur de vérité. A travers quelques exemples variés de récits et de leurs transcriptions iconographiques, la conférence s’attachera à cet ars memorialis que l’occident, en voulant se raconter, a abandonné au pouvoir illimité et instable des images.
[Cette conférence n’a pu se tenir] 

5 novembre 2020 : Le récit entre deux langages, l’image entre deux temporalités. [Cette séance n’a pu se tenir].

Sandro Botticelli, « Dante et Béatrice », Le Paradis de Dante, chant VI, vers 1495-1505, dessin à la pointe d’argent sur parchemin, repris à l’encre, détail, env. 32 x 47 cm, Berlin Kupferstichkabinett (Cabinet des Estampes), Kulturforum

Dans la Divine Comédie de Dante, le poète parvenu dans l’empyrée, aux confins du paradis, sous la conduite de Béatrice, témoigne de la force de la vision : « ma vue alla plus loin que notre parler ne peut montrer » (Il mio veder fu maggio che’l parlar mostra) s’exclame-t-il, en soulignant les limites de la parole et du récit. La suite prodigieuse de dessins que Botticelli réalisa pour « illustrer » la Divine Comédie institue véritablement l’image comme relai de la parole et de la vue. C’est le « veder maggio », le grand voir que tous les artistes, confrontés à des récits majeurs, cherchèrent à expérimenter. C’est, par exemple, le Faust de Goethe « illustré » par Delacroix, où le dire et le voir sont au service de « la précieuse déchirure » (Novalis). Cette dernière conférence du cycle « quand l’art raconte, du récit à l’image » revient sur cet enrichissant dialogue contrasté entre le récit, l’écriture et l’image. [Cette conférence n’a pu se tenir] 

PROGRAMME « Les mots dans l’art, l’écriture dans la peinture ».
septembre 2018 – novembre 2019
/ Programme conçu pour La Fabrique Poïein (L’Etelon, 03).

20 septembre 2018 : Des signes-figures de la grotte Chauvet au ″Scribe des contours″. Ecrire et dessiner : naissance et dissémination des signes plastiques (préhistoire-antiquité).

Eos, déesse de l’Aurore, recueille le corps de son fils, Memnon, tué par Achille devant Troie, coupe attique à figures rouges avec inscriptions, Ve sièce av. JC, Louvre, Dépt. des Antiquités grecques, étrusques et romaines

Cette conférence inaugure le nouveau programme donné à la Fabrique Poïein: « Les mots dans l’art, l’écriture dans la peinture ». De fait, un étrange dialogue s’est développé dans l’art occidental, dont Platon déjà annonçait l’enjeu : « Ce qu’il y a de terrible, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture et la peinture » (Phèdre). Le premier acte de cette ressemblance « terrible » se joue sans doute dans l’art pariétal de la Préhistoire où l’acte d’image combine, de manière complexe, la figure (l’animal) et le signe. Dans l’Egypte ancienne apparaîtra le puissant « Scribe des contours » des chantiers de fresques, à la fois écrivain des figures et peintre des signes. La conférence évoquera également la céramique à inscriptions de la Grèce antique où les grands artistes – les Sophilos, Nearchos, Exekias, Onesimos –  signent, désignent les personnages représentés, et n’hésitent pas, à l’occasion, à s’interpeller ou se défier entre eux.

4 octobre 2018 : Mouvements du phylactère. Rendre à la parole sa visibilité et sa lisibilité.

Fra Angelico, Annonciation de Cortone, 1433-1434, peinture à la tempera sur bois, 175 x 180 cm, Cortone, Musée Diocésain

Parmi les problèmes que l’art médiéval a cherché à résoudre il en est un de particulièrement redoutable : comment transcrire sur les images « les paroles d’en Haut », les messages du divin, ses recommandations, son dialogue avec l’homme. Ici comme ailleurs ce sont les artistes, les « Imagiers » qui vont inventer des solutions, qui vont imaginer des mises en espace, des figurations et des objets plastiques. Le phylactère -ce rouleau déployé- en est un exemple, conciliant la beauté formelle, les nécessités du récit et les données de l’histoire théologique. Mais l’artiste peut aussi, sous certaines conditions, écrire directement sur son image : geste difficile, précautionneux, profondément médité, qui va ouvrir dans l’imago la déchirure tremblée de la parole, de la voix, désormais transmuée en écriture matérielle, délibérément manufactum (faite de main d’homme).

1er novembre 2018 : Du Codex à l’Emblème. L’image en ses textes.

Jean de Joinville, Vie de Saint Louis, Paris, vers 1330-1340, page enluminée (folio 1: « La Remise du Livre »), Paris, BnF

La forme dominante du livre dans l’Antiquité, le rouleau (rotulus), est remplacée progressivement par le codex à partir du IVe siècle. Dans une société où la culture orale reste prépondérante, le livre va s’affirmer grâce au pouvoir de l’image : la page elle-même et les signes qu’elle propose sont soumis à des jeux formels multiples où le travail de la vision devient l’exigence commune. « Lire et voir » devient très souvent lire pour voir, les miniatures des codices libérant alors un régime nouveau des visibilités. Alors salués comme « la joyeuse nouveauté qui allège l’ennui », les livres d’Emblèmes – notamment celui, magnifique, d’Alciat (Andrea Alciato) – surgiront au XVIe siècle comme le point d’orgue d’un mouvement historique fascinant d’entrelacement de l’écriture et de l’image.

3 janvier 2019 :Ut Pictura Poesis (“la peinture/poésie est comme la poésie/peinture”). La peinture comme écriture muette, un débat classique.

Nicolas Poussin, L’Inspiration du poète, 1628, huile sur toile, 183 x 213 cm, Paris, Louvre

A l’âge classique les académies présentent volontiers la poésie comme une sorte de « peinture parlante », la peinture s’apparentant dès lors à une « poésie muette ». Il est alors fait mention du discours du tableau, lequel se doit d’ériger sa composition et ses figures comme un texte visible ou une écriture figurée. De sorte que les mots n’y ont plus leur place sous forme d’inscriptions. Entre éloquence muette et peinture de la pensée, le tableau affirme ainsi son autonomie et témoigne de sa « perfection », comme le dira Fréart de Chambray. Cette délimitation, décisive pour la modernité, n’ira pas sans conflits, et plusieurs centres artistiques, comme Naples en Italie ou Dordrecht en Hollande, accueilleront le désir d’écriture par le biais du trompe-l’oeil et de la nature morte, où lettres, partitions, pages de livres, introduisent dans l’image un trouble permanent. 

7 février 2019 : Travaux du signe pictural. Voir, représenter, signer et écrire le monde de Van Eyck à Van Gogh.

Lorenzo Lotto, L’ Adieu du Christ à sa mère, avec Elisabetta Rota (détail), 1521, huile sur toile, 126 x 99 cm, Berlin, Staatliche Museen Gemäldegalerie

Alors voici: tout en disant le monde et en le donnant à voir, les artistes ont cherché à faire valoir leur nom et à introduire dans l’oeuvre leur signature. Très souvent celle-ci s’accompagne de quelques mots, de brefs signes, pour affirmer et identifier, de manière tour à tour allusive, énigmatique ou intrusive. La conférence proposera une traversée de l’histoire de l’art, de l’époque gothique à la modernité – à travers des oeuvres picturales mais aussi architecturales – pour relever ces inscriptions signées, les déchiffrer et en proposer une interprétation. De sorte qu’une autre histoire pourrait être racontée où viendraient se tisser, à la fois, l’envers des oeuvres et comme la plénitude même de leur pouvoir plastique. 

7 mars 2019 : Le mot comme valeur figurative, la lettre comme donnée plastique dans le Cubisme, le Futurisme et le Constructivisme.

Francesco Cangiulo, Pisa (Planche de mots en liberté), 1914, tempera sur papier, 57 x 74 cm, Milan, Collection Calmarini

Dès le début du XXe siècle, cette grande décision qu’est le Cubisme reconfigure l’espace plastique et l’objet figuratif, et introduit la lettre et le mot dans ses compositions pour en stabiliser frontalement les effets mobiles. La boîte de Pandore était ouverte et bien des avant-gardes artistiques devaient ensuite accorder une prééeminence particulière à l’introduction de « mots dans la peinture » à titre de nouvelle valeur plastique. Epinglé, projeté, démembré : le mot construit l’espace qu’il investit et devient l’agent essentiel de l’acte d’image. La modernité artistique accompagne de la sorte une bascule générale de la perception introduite par le monde en mouvement des images cinématographiques.   

4 avril 2019 : Calligramme et poème pictural. De Nouveaux genres artistiques, entre fait littéraire et fait plastique.

Joan Miro, Le corps de ma brune… poème pictural, 1925, huile sur toile, 130 x 96 cm, coll. part.

Après les transformations de l’espace poétique introduites par Mallarmé avec Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, en 1897 (réédité en 1914), les calligrammes d’Apollinaire vont libérer le pouvoir figuratif de l’écriture « à l’aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phonographe » comme le soulignera le poète ami des artistes. « Et moi aussi, je suis peintre » affirme-t-il en une phrase que les peintres seront tentés de retourner. Au cours des années 20 du XXe siècle, des artistes comme Max Ernst, Joan Miro, Francis Picabia, Paul Klee, vont ainsi prospecter les possibilités offertes par ce qui est très vite nommé le « poème pictural ». Cet objet plastique singulier, traversé et travaillé par des écritures, s’apparente alors à un nouveau genre d’expression. Et Miro pourra de la sorte formuler l’ambition de toute une génération  en s’exclamant: « Que mon oeuvre soit comme un poème, mis en musique par un peintre ».

19 septembre 2019 : De ″L’action restreinte″ à l’image-texte. Restriction du signe et fragmentation de l’espace dans les pratiques plastiques après Mallarmé.

Pablo Picasso, Bouteille, journal, verre sur une table (un coup de thé),1912, papier collé, fusain, gouache sur papier, Paris, MNAM 

Le poète Stéphane « Mallarmé a inventé inconsciemment l’espace moderne » affirmait l’artiste Marcel Broodthaers, en référence au fameux poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, de 1897.  Il est vrai que « l’action restreinte » pour laquelle plaidait Mallarmé en matière de création nécessitait, avec la restriction des signes, de nouvelles stratégies de fragmentation de l’espace. Si l’effet de souffle des propositions de Mallarmé se ressentira sur une longue durée, durant le XXe siècle – à travers un Matisse, un Picasso (voir le « un coup de thé » ci-dessus), un Léger – le retour de l’énoncé à partir du Surréalisme ouvrira une autre scène où l’image-texte (comme chez un Magritte) s’ouvre à la parodie de l’image et à l’appropriation d’une écriture délibérément fissurée.

3 octobre 2019 : L’artiste-écrivain / L’écrivain-artiste. L’entrelacement dans la modernité du fait littéraire et du fait plastique, de l’écriture et de l’image.

André Breton, Nadja, 1928, Paris, Librairie Gallimard, éditions de La Nouvelle Revue Française, « La production des images… ce double jeu de glaces » 

Les incursions littéraires de Picasso, les poèmes de Jean Arp, « racontant » des sculptures, ceux de Raoul Hausmann, baptisés « poèmes optophonétiques », ou de Paul Klee affirmant vouloir « écrire en peintre »… Mais aussi les encres de Victor Hugo, Les 260 Cahiers tenus par Paul Valéry de 1894 à 1945 où l’écriture est constellée de dessins, les Cahiers de Rodez d’Antonin Artaud où, les « dessins écrits », visages et gouffres, prennent possession du lecteur. De fait, la modernité est traversée par ces noces secrètes où les artistes sont parfois écrivains et les écrivains artistes, où l’écriture et l’image apparaissent entrelacées. Reconnaître pleinement cette donnée c’est assurément déplacer notre regard, retisser les oeuvres et reformuler l’histoire. 

7 novembre 2019 : Le livre d’artiste : un Codex contemporain. Le retour au livre

Guy Debord, texte – Asger Jorn, « structures portantes », Mémoires, Copenhague, 1959

Inventé comme une structure visuelle aisément constructible et un objet à large diffusion, le livre d’artiste s’est largement développé au cours de la proche modernité. Entre mémoire personnelle, fiction raisonnée ou manifeste esthétique, entre « livre illustré » et « travaux pratiques », « récits naïfs pour livres d’images » et actes de « détournements », il a accompagné la plupart des mouvements du XXe siècle, du Noa Noa de Gauguin (1896-1899) aux « papiers traités » de Pierre Alechinsky, en passant par les livres de Guy Debord et Asger Jorn. Son usage à la fois performatif et discret chez les jeunes artistes d’aujourd’hui témoigne à l’évidence d’une manière proprement contemporaine de vivre en art.  

PROGRAMME « Les mondes de l’art, une traversée. Du Moyen Âge au Land art » (le « grand programme »)
septembre 2014 – avril 2018

Pour les descriptifs des séances voir : « Les conférences au DomaineM / Le grand programme ».