Les conférences au DomaineM
/ « 19 artistes contemporains
Dispositifs de pensée, actes d’images, processus et montages »
octobre 2015 > mai 2017

Argument : Au-delà des problèmes formels et des questions techniques, il s’agit dans ce programme d’appréhender le développement de pratiques artistiques contemporaines mettant en jeu des dispositifs de pensée, actionnant des processus matériels, des actes d’image et des montages spéculatifs, documentaires ou fictionnels. Chercher à penser collectivement le pluralisme de l’art contemporain témoigne du souci de « défendre la société » selon le voeu de Michel Foucault. Un cycle de 10 conférences de 2 heures.

Dispositifs de pensée, actes d’image, processus et montages

Antoni Tàpies (1923-2012) / Miquel Barcelo (né en 1957) : Les matières du monde.
18 octobre 2015

A gauche : Antoni Tàpies, Ocre et noir à l’étoffe collée, 1972, technique mixte, matériaux sur bois, 170 x 195 cm, Bâle, Fondation Beyeler / A droite : Miquel Barcelo (né en 1957), Terra Mare, exposition en divers lieux à Avignon (Palais des papes, Petit Palais, Collection Lambert), visuel du catalogue, textes : Alberto Manguel, Eric Mézil, 2010, Actes Sud.

Décédé en 2012, Antoni Tàpies laisse une oeuvre abondante où les matières, les objets et les signes se déversent dans le flux d’une oeuvre-monde animée par le désir. Comme le dit le poète Jacques Dupin: « L’oeuvre de Tàpies est une oeuvre ouverte par excellence. Vivante et non fixée, mouvante, inachevée (…), et c’est ainsi qu’elle nous atteint, nous entraîne, nous attache, et ne s’accomplit qu’avec nous qui la regardons ». La conférence aborde également l’oeuvre de Miquel Barcelo, né en 1957 à Majorque, artiste-voyageur qui construit un univers pictural et matériel nomade, conçu comme lieu à habiter.

Robert Rauschenberg (1925-2008) / Sarkis (né en 1938) : Polyphonies et nomadisme.
13 décembre 2015

A gauche : Robert Rauschenberg, Pneumonia Lisa (Japonese Clay Work) 1982, projet ROCI-Japon, technique mixte / A droite : Sarkis, vue de l’exposition « Le monde est illisible, mon coeur si », 2002, Lyon, Musée d’art Contemporain.

« Work is my joy » (le travail est ma joie) avait coutume de dire l’artiste américain Robert Rauschenberg, décédé en 2008. A travers sa luxuriance et sa prolifération, son oeuvre révèle un optimisme fondamental et projette l’art moderne dans le monde contemporain où la révolution communicationnelle et la globalisation des langages bouleversent les notions de « réel », de « mémoire », d’ « image » et d’ « oeuvre ». Rauschenberg qui se disait « assailli par l’excès du monde » ne cessa de plaider pour une « capacité d’ouverture envers toute expérience nouvelle » (« openness to new experience« ). La conférence aborde également l’oeuvre de Sarkis, né en 1938 à Istanbul, d’origine arménienne, qui vit et travaille à Paris depuis 1964.

Giuseppe Penone (né en 1947) / Gilberto Zorio (né en 1944) : La nature comme hypothèse et comme expérience.

A gauche : Giuseppe Penone, ​ »Continuerà a crescere tranne che in quel punto », 1969 / A droite : Gilberto Zorio, Cercle de Terracotta (Cerchio di terracotta), 1969.

Une main saisit l’arbre et y demeure. La chair devient bronze et l’arbre « continuera à croître sauf en ce point. » L’artiste avait 22 ans et d’une certaine manière il formulait déjà le programme d’une vie et d’une oeuvre : l’ouverture d’un lieu où l’homme se tiendrait délibérément dans la nature, du côte des flux, des énergies secrètes, des traces et des signes. L’arbre, la pierre, la peau, le souffle, le regard, le corps, la mémoire : et si Giuseppe Penone, jour après jour, depuis près d’un demi-siècle, n’avait fait que nous révéler, dans sa langue poétique, notre lien au vivant, inéluctable et de plus en plus indispensable.

Georg Baselitz (né en 1938) / Anish Kapoor (né en 1954) : La terreur et l’extase.
10 avril 2016

A gauche : Georg Baselitz lors de son exposition rétrospective à l’Albertinum Museum de Dresde en 2009 / A droite : G. Baselitz, Peuple Chose Zéro (Volk Ding Zero), 2009, cèdre, peinture à l’huile, clous, 308 x 120 x 125 cm, coll. part. à l’exposition du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Est-il possible de sortir de l’Histoire? Quelle maison demeure pour l’art lorsque la guerre a ravagé l’Europe et que l’Allemagne bascule du nazisme dans la guerre froide? Pour le jeune Allemand Baselitz, né en 1938, qui passe d’Est en Ouest, retrouver un chemin personnel vers l’art ressemblait à une lutte pour s’extraire de l’Histoire. « Je ne suis pas prêt à chanter avec les autres » dira-t-il, avant de se présenter comme un artiste « brutal, naïf et gothique ». Après plus d’un demi siècle d’un labeur intense, l’oeuvre se déploie aujourd’hui comme l’une des plus essentielles, des plus vivifiantes de notre temps. La conférence aborde également certaines pièces de l’oeuvre d’Anish Kapoor sous l’angle de la terreur et de l’extase.

Pierre Alechinsky (né en 1927) / Mario Merz (1925-2003) : Territoires, concentration, dispersion.
8 mai 2016

A gauche : Pierre​​ Alechinsky, Revenant à l’esprit de Georges Duby : Guillaume le maréchal, 1986 / A droite : Mario Merz, Igloo de Giap, 1969, armatures de fer, sacs de plastique, terre, tubes de néon, batteries, accumulateurs, dimensions de l’igloo : 120 x 200 cm, Paris, MNAM, Centre G. Pompidou.

De sa brève présence à l’aventure CoBrA, le bruxellois Pierre Alechinsky conservera un goût marqué pour la spontanéité du geste, la rapidité et le délié des figures, et sans doute pour la vision d’un art élargi où écrire et peindre -selon le vœu de Paul Klee- ne font plus qu’un. Peintre-lettré, au sens chinois, calligraphe et écrivain, Alechinsky a construit une oeuvre où de fulgurantes visions éclaboussent un espace constamment travaillé par les signes et l’écriture. A l’évidence il maintient vivante la possibilité pour l’art d’une langue ouverte au bruissement du monde, à l’innocence et à l’émerveillement. La conférence revient également sur les dispositifs et le processus des Igloo de Giap (1968-2003) de l’artiste italien Mario Merz (1925-2003) pour qui la dialectique de la concentration et de la dispersion (des matériaux et des territoires) est le projet de l’art. « Se il nemico si concentra, perde terreno, se si disperde, perde forza » (Si l’ennemi concentre ses forces, il perd du terrain, s’il les disperse, il perd de la force) : la maxime du général Giap, stratège de la guerre vietnamienne contre les forces américaines, est aussi un précepte du jeu de go.

Simon Hantaï (1922-2008) / James Turrell (né en 1943) : Plier et déplier l’univers.
9 octobre 2016

A gauche : Simon Hantaï, Tabula, 1974, acrylique sur toile, 300 x 574 cm Exposition « Les Phares », Centre Pompidou Metz 2014, photo DomaineM / A droite : James Turrell, Epiphanie du crépuscule, Skyspace (chambre de lumière sur plein ciel), 2012, Houston, Rice University.

La trajectoire de Simon Hantaï est singulière, qui le mènera de sa Hongrie natale à Paris, et de sa participation aux derniers feux du Surréalisme à la recherche d’un lieu personnel pour accueillir une peinture d’ « après l’automatisme ». L’écriture sera d’abord ce lieu, saturant le plan pictural, l’ouvrant à la possibilité même d’une lecture infinie. Le pliage comme « méthode » prendra la relève, installant l’artiste au cœur d’un cosmos articulé comme pli et déploiement. Ce consentement aux limites et cette adhésion à une vie « dans le temps » désignent l’exigence qui anime l’oeuvre de Simon Hantaï, dispositions par lesquelles l’artiste semble accompagné, à distance, par l’oeuvre « épiphanique » de James Turrell (né en 1943).

Gerhard Richter (né en 1932) / Richard Hamilton (1922-2011) : Le bougé de l’apparence.
11 décembre 2016

A gauche : Gerhard Richter : Septembre [CR 891-5], 2005, huile sur toile, 52 x 72 cm, New York, MoMA / A droite : Richard Hamilton, I am dreaming of a White Christmas (Je rêve d’un Noël blanc), 1967-1968, huile sur toile, 106,5 x 160 cm, Bâle, Kunstmuseum, coll. Ludwig.

Né à Dresde en 1932, Gerhard Richter est entré vivant dans l’histoire de l’art avec une oeuvre polymorphe où les genres (portrait, paysage, nature morte) sont revisités, où la peinture fait retour sur la scène de l’histoire comme question posée à l’ordre du monde. Une vision tremblée s’y affirme, parfois désenchantée et inquiète, souvent habitée par « l’aspiration à une vie pleine et simple » dont la peinture n’est que le seuil. La conférence propose une lecture de cette oeuvre puissante et de celle, proche à certains égards, de l’artiste britannique Richard Hamilton, décédé en 2011. Et si « le bougé de l’apparence » était devenu la règle du monde qui vient ?

David Altmejd (né en 1974) / Damien Hirst (né en 1965) : L’hétérogène et l’effroi.
5 février 2017

A gauche : David Altmejd, The Flux and the Puddle (« Le flux et la flaque »), 2014, vue d’un dispositif lors de l’exposition du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (MAM-Paris), 2014, photo DomaineM / A droite : Damien Hirst, La poursuite de l’oubli, 2004, mixmedia [d’après The Pursuit of Oblivion, de Richard Davenport-Hines, 2001, et d’après Magritte, 1937].

La sidération qui saisit le visiteur d’une exposition du sculpteur canadien (né en 1974) David Altmejd est à la fois vivifiante et dérangeante. Des univers hétérogènes s’y déversent, proliférant à travers les salles, exposant un monde post-humain peuplé de créatures, d’objets, d’environnements. Tout y est confondant de précision rutilante et cet univers au travail, traversé de lumières, sectionné par la géométrie des miroirs et des vitres, semble exposer un devenir qui déjà nous concerne et nous englobe. 
La conférence aborde également certaines pièces de l’oeuvre de Damien Hirt (né en 1965) sous l’angle de l’hétérogène et de l’effroi.

Luc Tuymans (né en 1958) / Philippe Cognée (né en 1957) : Le désir et la mort.
9 avril 2017

A gauche : Luc Tuymans, Yeux (Eyes), pièce d’une série de trois, 2001, huile sur toile, 76 x 69 cm. A droite : Philippe Cognée, Vanité 5 , 200 x 200 cm (panneau d’un diptyque, détail), Galerie Daniel Templon.

A bien des égards les artistes Luc Tuymans (né à Anvers en 1958) et Philippe Cognée (né à Nantes en 1957) interpellent notre monde contemporain selon des dispositifs convergents. Les notions de « modèle » et de « sujet » ont perdu de leur pertinence, la peinture intervenant désormais dans l’univers de la post-image, ou de l’image-d’image, afin de rétablir une mémoire visuelle et une conscience de la réalité. Les traces du réel, les indices des faits oubliés sont confrontés au grand effacement du visible auquel nous sommes conviés par le flux des images numériques et médiatiques. L’art devient alors ce lieu où l’expérience vécue fait encore signe, malgré tout : un lieu où le monde commun pourrait retrouver sa disponibilité au-delà même des catastrophes et malgré elles.

Cy Twombly (1928-2011). Le berger d’Arcadie.
7 mai 2017


Cy Twombly, Sans titre, 2007, acrylique et craie grasse sur panneau de bois, 252 x 552 cm, détail. Fondation Cy Twombly.

Cy Twombly nous a quittés le 5 juillet 2011. Il laisse une oeuvre d’une incandescente beauté où se trouve en permanence relancé le dialogue avec l’Antiquité, ses récits et ses mythes, comme avec les poètes de la modernité. Cette oeuvre, habitée par le « rassemblement du temps », témoigne d’une exigence de vivre conçue comme adhésion au corps, à la mémoire et à la beauté du monde. Toute sa vie, Twombly s’attacha à repenser l’acte de création, à lui offrir l’espace exact d’un déploiement où l’intuition et la décision sollicitent la peinture autant que l’écriture, la vision autant que le geste, le flot des signes autant que leur rétention. L’image récurrente des floraisons nous indique que cet homme, assurément, avait trouvé le passage et vivait en Arcadie, tel un berger de la beauté. A l’instant de partir il murmura: « J’ai tellement aimé créer. Oh, comme j’ai aimé cela. La force du souvenir est ce qui reste ».