Gabrielle Gobeaud Bianco
Printemps
mars 2022

Des draps de lin répandus en quasi sculptures molles, des toiles flottantes gorgées de couleurs pâles, suspendues aux murs, des moulages de visages humains déformés, alignés comme des pièces archéologiques, des céramiques fluides, organiques, rassemblées en ensembles énigmatiques, des livres empilés en colonnes instables, des fleurs des champs en bouquets aériens…

La création de Gabrielle Gobeaud Bianco n’est pas essentiellement liée à l’objet, elle viserait plutôt à contaminer l’espace à la manière de plantes sauvages; ou à prendre possession de la maison, de l’oïkos pourrait-on dire, comme espace à soi où le monde vivant, interminablement, germine et se duplique. Dès lors, l’amicale présence autour de soi de cette vie sensible nous rappelle, doublement, que si « dans la vie sensible un monde s’offre à nous », nous-mêmes ne « sommes au monde que comme vie sensible » *.
[* Emanuele Coccia, La vie sensible, 2010]

De fait, le travail plastique de Gabrielle Gobeaud Bianco résiste à son installation dans un espace d’exposition qui ne serait voué qu’à une fonction de présentation. Tout ce que crée l’artiste s’apparente à un ensemble de saisies du monde à travers la mémoire et l’existence. La matière y est appréhendée en permanence comme une sorte de milieu qu’il conviendrait incessamment de toucher et de transformer : « Je travaille le plus possible avec mes mains et je réalise moi-même chaque pièce en utilisant des techniques primitives ». Dès lors les regroupements de pièces effectués pour cette exposition proposent moins un itinéraire qu’une série de points de vue où, à chaque fois, les dispositifs associent des matières différentes en interactions

Il s’agit bien, en permanence, d’environnements où le mouvement d’engendrement et de renouvellement contamine formes et matières. Coulées et fluidités picturales, ouvertures et fissures des céramiques : nous sommes confrontés à des états du monde où la naissance même de l’enfant rejoindrait les interminables résurgences et recommencements de la nature. Et, de même que se trouve réactivée la plénitude irrépressible du vivant, la maternité de l’artiste retrouve alors, avec une élégance parfaite, la dimension cosmique oubliée derrière les protocoles de la science. L’art demeure bien ce médium intransigeant des rappels et des restitutions.